République démocratique du Congo

Au bord du précipice

Aux prises avec une dizaine de foyers de conflit, la République démocratique du Congo (RDC) fait face « à la crise humanitaire la plus complexe et la plus problématique du monde », souligne dans un récent rapport l’International Crisis Group. Les événements tragiques des dernières semaines ne font que confirmer les pires craintes de l’organisation.

Après 14 heures de marche dans la forêt, Jean Kiza Kambi atteint enfin un camp de fortune à Kalemie, dans le sud-est de la RDC. Il est peut-être sauvé, mais il a été séparé des villageois en fuite avec lui. « Certains sont toujours dans la forêt. Ils ont reçu des coups de sabre. D’autres ont réussi à rejoindre une base militaire. Pendant que je courais, j’ai vu au moins cinq cadavres. »

Cette histoire, M. Kambi l’a racontée à Andreas Kirchhof, un agent du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en RDC. « La situation humanitaire dans l’est du pays est dramatique », indique au bout du fil le travailleur humanitaire, de retour à Kinshasa après une visite dans la province de Tanganyika. 

« Des conflits locaux se sont étendus », ajoute-t-il, semant le chaos dans un pays dont les plaies laissées par la guerre n’ont jamais eu le temps de se cicatriser.

Les brasiers de l’Est

La crise qui sévit dans cette province est loin d’être isolée. Depuis la fin de la deuxième guerre du Congo, il y a 15 ans, l’est de la RDC brûle d’un feu incessant.

La semaine dernière, au moins 72 personnes y auraient perdu la vie. Dans la province de l’Ituri, dans le nord-est du pays, des attaques sauvages contre des villages ont fait 49 morts, selon l’organisation humanitaire Caritas. Un peu plus au sud, dans la province du Nord-Kivu, 23 personnes ont péri, selon un organe de presse appuyé par l’Organisation des Nations unies.

Et encore, ces morts ne sont que la partie la plus saillante de la crise humanitaire. Les très nombreux réfugiés et déplacés internes vivent dans des conditions difficiles. Au moins 1,7 million de personnes ont dû fuir leur domicile en 2017, selon le Conseil norvégien pour les réfugiés. Hier, l’ONU a affirmé que la famine guette 2 millions d’enfants.

« Depuis deux ans, surtout depuis l’an dernier, on assiste à une recrudescence de la violence », se désole Mélanie Coutu, une Montréalaise en poste à Beni, dans le Nord-Kivu, pour l’ONG Mercy Corps.

Selon elle, c’est surtout « l’appât du gain » pour les ressources minières et les terres cultivables qui alimente les nombreux conflits qui déchirent l’est de la RDC.

Les experts estiment aussi que l’instabilité politique, créée en grande partie par le président Joseph Kabila qui s’accroche au pouvoir, n’aide en rien la situation.

Trois régions, trois conflits

Ituri

Dans la province de l’Ituri, un conflit oppose les communautés Hema et Lendu. Les premiers sont agriculteurs, les seconds, éleveurs. Ils se disputent au sujet de la répartition de terres.

Les tensions entre ces deux peuples ne datent pas d’hier : au tournant du millénaire, la guerre d’Ituri impliquant le Front des nationalistes et intégrationnistes (Hema) et l’Union des patriotes congolais (Lendu) avait fait 50 000 morts et 500 000 déplacés, selon Médecins sans frontières (MSF). Depuis 2003, la guerre est terminée, mais la situation demeure fragile.

Cette année, les violences ont repris de plus belle dans l’Ituri. En février, 40 000 habitants ont traversé le lac Albert, cherchant refuge en Ouganda, selon MSF. Ils fuient les attaques imprévisibles qui terrorisent la région.

« Les gens qui ont réussi à fuir racontent que des hommes armés non identifiés les ont attaqués, ont brûlé leur maison et ont détruit les infrastructures de leur village », relate Andreas Kirchhof.

Nord-Kivu et Sud-Kivu

Plus au sud, dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, les violences font aussi des ravages.

Cette région du pays regorge de cobalt, de coltan et d’étain – et de groupes armés attirés par ces richesses naturelles.

« Les groupes armés ne sont pas sur les sites miniers pour exploiter les ressources : ils imposent plutôt des taxes sur ce que les mineurs artisanaux récoltent », explique Denis Tougas, qui a travaillé 25 ans pour l’Entraide missionnaire et qui a été coordonnateur de la Table de concertation sur la région des Grands Lacs africains.

Plusieurs de ces groupes armés se sont formés lors de la deuxième guerre du Congo, de 1998 à 2003, afin de repousser l’invasion rwandaise dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Après la guerre, les groupes qu’on appelait les « Maï-Maï » se sont recyclés dans le contrôle des mines.

« Certains groupes armés sont très organisés, d’autres se forment de manière spontanée, explique Mélanie Coutu. Entre les groupes, des alliances se forment, d’autres se défont. »

Actuellement, il existe au moins 70 groupes armés dans l’est de la RDC, selon Global Conflict Tracker. 

Tanganyika

Dans la province de Tanganyika, un drame nouveau est en train de se jouer.

« Dans cette région, c’est du jamais- vu, commente Denis Tougas. Comme en Ituri, un conflit pour des terres est en cause. » Depuis 2013, des combats intercommunautaires y opposent les Twa (pygmées) et les Luba (bantous), selon une allocution récente du porte-parole du HCR Andrej Mahecic.

L’an dernier, le HCR recensait 4700 signalements « concernant des violences physiques, des tortures, des meurtres, des assassinats, des arrestations arbitraires, le travail forcé, des viols et des mariages forcés » dans la province de Tanganyika et dans la région voisine de Pweto.

Le pillage et la violence y ont fait 630 000 déplacés internes en 2017 – deux fois plus qu’en 2016 – sur une population de 3 millions de personnes.

Selon Andreas Kirchhof, ce drame est complètement ignoré. « Les pires zones du conflit sont dans des régions difficiles d’accès et très dangereuses », explique-t-il. Compte tenu de ses moyens extrêmement limités, l’aide humanitaire peut difficilement y accéder.

Dans le Tanganyika comme partout ailleurs au pays, les Congolais peuvent-ils espérer une sortie de crise ?

« En RDC, l’enjeu principal est de tenir des élections, croit Denis Tougas. Les gens veulent avoir des autorités élues et redevables. »

« En ce moment, le gouvernement n’a aucune autorité », ajoute-t-il. Le mandat du président Joseph Kabila devait prendre fin en 2016, mais il est toujours au pouvoir. Des élections sont maintenant prévues en 2019, après avoir été repoussées plusieurs fois.

Femmes en RDC

En RDC, les femmes sont très vulnérables. Mélanie Coutu est responsable des questions de genre en RDC pour Mercy Corps. Elle souligne que le travail des femmes est essentiel, mais aucunement valorisé. « Au Nord-Kivu, par exemple, les femmes effectuent 70 % de la production agricole. Dès 14 ans, les filles sont retirées de l’école, travaillent dans les champs et vendent au marché la nourriture que leur famille ne consomme pas. » Sur les routes entre leur domicile, le champ et le marché, les femmes rencontrent de nombreux groupes armés et subissent régulièrement du harcèlement et de la violence physique ou sexuelle. « Elles risquent leur vie chaque jour ! », souligne Mélanie Coutu.

CHRONOLOGIE

1996-1997 

Première guerre du Congo, au terme de laquelle le président Mobutu est chassé du pouvoir.

1998-2003 

Deuxième guerre du Congo, impliquant huit autres pays africains. Les deux guerres auraient fait des millions de morts.

2001 

Assassinat de Laurent-Désiré Kabila et reprise immédiate du pouvoir par son fils, Joseph.

2004 

Début de la guerre du Kivu, qui dure toujours.

2006 

Joseph Kabila est élu président.

2011 

Joseph Kabila est réélu au terme d’une élection entachée d’irrégularités.

2012-2013 

Crise majeure dans l’est du pays causée par le groupe armé M23.

2016 

Joseph Kabila ne déclenche pas d’élections. Il a écoulé les deux mandats à la présidence permis par la Constitution.

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